La Cenerentola. Gioacchino Rossini.
Franz Weber, Jörg Müller. OGB Biel
Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 5 décembre 1989.
C'est à mon goût l'opéra le plus joli que Rossini ait écrit. Aucun numéro est sans importance, l'inspiration règne de la première à la dernière note. La succession des mélodies, la variation et la finesse de l'instrumentation, la beauté et la hardiesse des lignes chantées – tous ces éléments font de la "Cenerentola" un chef d'œuvre indisputable. Et ce chef d'œuvre, je l'ai retrouvé sur la petite scène de Bienne, Rossini m'a parlé, il m'a fait battre le cœur et il m'a fait fondre l'âme grâce aux délices que sa musique nous procure. J'étais donc ébloui par Rossini, ébloui malgré les défaillances de la représentation que j'ai vue à Bienne.
Premier inconvénient: la grandeur de la salle et la grandeur de la fosse. Le théâtre de Bienne, vous le savez, est minuscule. Il a la grandeur d'un théâtre de poche, et la scène n'est pas plus vaste que mon salon. Alors, bien entendu, la fosse, elle aussi est mignonne. Vous pouvez y mettre une trentaine de musiciens au maximum, et cela signifie pour "la Cenerentola" que l'effectif des souffleurs correspond à la partition, mais chez les violons, la moitié manque, parce qu'on a tout simplement pas assez de place pour eux. Alors le son de l'orchestre n'aura jamais l'homogénéité et la brillance nécessaires. D'autant plus que la salle, par son acoustique, se prête d'avantage au théâtre parlé qu'au théâtre lyrique. Dans cette acoustique sèche, toutes les interventions des souffleurs prennent un caractère rude et vulgaire, alors que les violons ont la piètre petite voix de chèvres délaissées dans les alpes. Je vous laisse juger vous-même avec un extrait de l'ouverture que j'ai enregistré à Bienne pour vous:
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Vous avez entendu que les conditions acoustiques du petit théâtre de Bienne ne sont pas idéales. Mais les conditions techniques et scéniques ne le sont pas non plus. On n'y trouve ni cintres ni dessous, et les changements de décoration sont difficiles. Un autre problème consiste à créer l'impression de grandeur, puisque la scène, je l'ai dit, a la grandeur d'un salon. Pour cette raison, les décorations de Bienne d'habitude ne valent pas la peine d'être citées; mais cette fois-ci, il faut que j'en parle parce que le théâtre lyrique de Bienne a lancé un coup d'exception. Il a invité le peintre Jörg Müller qui à mon avis a créé des décors qui sont superbes et géniaux. (Jörg Müller, ceci juste entre parenthèses, a créé il y a quelque 15 ans cette succession d'images qui montre les changements d'un paysage et d'une ville au cours de la conjoncture.) Ce que Müller a préparé pour "La Cenerentola" est difficile à décrire. Retenez toute fois que les décors correspondent parfaitement au style de l'œuvre, qu'ils sont illuminés d'une manière admirable et qu'ils se laissent vite transformer.
(Musik)
Mais voilà, il ne suffit pas d'avoir de bons décors pour faire une bonne production. Pour faire une bonne représentation, il faut de bons chanteurs et un bon metteur en scène. Or, le metteur en scène Franz Weber m'a déçu, car il a fait du travail superficiel. Et par superficialité, j'entends des gags qui ne se développent pas en fonction de l'œuvre. Ce qui se passait sur scène était une garniture superflue qui ne faisait ni comprendre les caractères ni les situations. La chose s'est aggravée par le fait que Franz Weber ne s'est pas gêné d'aller voler certains traits chez Jean-Pierre Ponnelle. Et par ces éléments qui ne se rattachaient pas au reste, on sentait le manque d'imagination, le manque de génie qui se trouve à la base de cette production biennoise.
Autre inconvénient, c'est que la petite scène était divisée en trois parties. Et ces parties étaient si minuscules que les chanteurs qui s'y trouvaient ne pouvaient à peine bouger. Impossible donc de faire des mouvements d'un bout du plateau à l'autre. Les chanteurs restaient figés à leur place comme des pions, et les arrangements étaient sans intérêt. Et dans les scènes avec chœur, la petite scène débordait de gens, et les chanteurs étaient serrés les uns contre les autres comme les passagers des transports publics genevois.
Mise en scène sans intérêt – et le chant sans véritables découvertes. Les artistes que le théâtre lyrique de Bienne nous présente sont très jeunes et pas très expérimentés. On y trouve pas de grandes voix. Pour le petit théâtre de Bienne, ce n'est pas gênant. Ce qui me gênait plutôt, c'est le fait que les chanteurs n'ont pas assez de technique pour attaquer Rossini et qu'il leur arrivent des imprécisions rythmiques qui dérangent. Heureusement que la Cenerentola, chantée par Heidi Burri, a une voix naturelle assez souple pour donner sans heurt les trilles et les roulades du belcanto, mais elle ne sait pas encore passer élégamment d'un registre à l'autre.
Mais je ne vais pas vous ennuyer en énumérant le catalogue des fautes de chaque chanteur. En guise de compte rendu de mon mécontentement, je vous propose l'extrait d'un ensemble, et je vous laisse le choix de réagir selon votre goût musical.
(Musik)