Così fan tutte. Wolfgang Amadeus Mozart.
Oper.
Nikolaus Harnoncourt, Jean-Pierre Ponnelle. Opernhaus, Zürich.
Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, fin février 1986.
(Musik)
En lisant et en comparant les critiques de "Così", je me suis une fois de plus rendu compte de la qualité des grands quotidiens suisse allemands, la NZZ, le "Tages-Anzeiger" de Zurich et la "Basler Zeitung" qui réservent la moitié d'une page pour l'évènement. Assez de place donc pour que la critique puisse développer ses idées, différencier son jugement et entrer dans les détails.
Et c'est surtout des détails que la critique suisse allemande s'occupe dans ce cycle Mozart de l'Opernhaus, puisque la qualité de "Così" n'est plus à prouver et que la collaboration Harnoncourt-Ponnelle est bien établie. "Ponnelle", écrit le "Tages-Anzeiger", "Ponnelle donnait ce qu'on attendait de lui. C’est-à-dire: Il reste fidèle à lui-même, il accepte les limites du genre et ne quitte jamais le cadre du jeu." – C'est peut-être pour cette raison que la NZZ, qui souvent a de la peine à accepter des innovations sur le plan politique aussi bien que sur le plan scénographique, donc d'est peut-être grâce au conventionnalisme de Jean-Pierre Ponnelle que ce journal parle d'un miracle. Je cite: "La représentation semblait s'intensifier contre la fin. Action et chant, dans la dernière scène, se réunissaient avec beaucoup de clarté, puis il n'y avait plus qu'un seul pas à faire pour nous mener à cette fin qui toujours fera l'étonnement et la vénération des adorateurs de Mozart. Et la représentation était à la hauteur de ce miracle." Tel est l'avis de la NZZ.
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Le "Tages-Anzeiger", lui, décrit exactement ce qui s'est passé au cours de la soirée:" Jusqu'à l'entracte, la chose est gaie, burlesque, enjouée. Puis elle tourne au sérieux. Je concède à Ponnelle", écrit notre confrère, "à cet artiste raffiné, qu'il a sciemment choisi cette opposition, car le jeu tout à coup échappe au contrôle des couples. Les poupées deviennent des êtres humains, et l'érotisme mène au no-mans-land des sentiments brisés. Il y a bien des choses cassées ici, misère et affliction. Ponnelle n'a pas caché la brutalité de l'expérience et du pari dans 'Così fan tutte".
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"La maîtrise du metteur en scène est égalée par une qualité musicale qui ne pourrait être plus homogène", voilà l'avis de la "Basler Zeitung". Et la NZZ écrit au sujet de Nikolaus Harnoncourt: "Il s'est préparé intensément, et il a atteint de brillants résultats. Les vents attaquent les forte avec vigueur et font sentir une vitalité qui ne nous permet plus de retomber dans la conception d'un Mozart rococo qui n'engage à rien. Dans l'ouverture déjà, Harnoncourt choisit un tempo très rapide, mais il sait quand-même faire ressortir toutes les figurations. Il reste le maître d'une interprétation qui suit l'action intérieure de la musique."
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"Parfait aussi", retient la "Basler Zeitung", "parfait cet ensemble de solistes, tous du même niveau."
Nous avons donc Roberta Alexander comme Fiordiligi, et Ann Murray comme Dorabella. Guiglielmo est chanté par Thomas Hampson et Fernando par Gösta Winbergh. Puis, spécialité de Zurich: Despina n'appartient pas à une soubrette, mais à une mezzo, à Julia Hamari. Nikolaus Harnoncourt retient que le choix correspond à la tradition et qu'il permet de bien séparer et caractériser les voix féminines.
Le philosophe Don Alfonso à Zurich, comme d'ailleurs à Genève dans la mise en scène de François Rochaix, ce philosophe donc joue un rôle très important. C'est lui qui tend les pièges, tantôt il apparaît comme metteur en scène, tantôt comme voyeur cynique, comme un Don Giovanni, dit la "Basler Zeitung", comme un Don Giovanni en retraite.
L'importance que Jean-Pierre Ponnelle prête à ce rôle se prouve par le fait que toute la représentation perd son charme, si l'on est forcé de remplacer le chanteur d'Alfonso. C'était le cas au début de cette série de représentations. À la première, on voyait un Don Alfonso qui déployait une présence scénique impressionnante, mais qui ne pouvait pas chanter, pour raison de grippe, et à la deuxième, on entendait un Don Alfonso qui savait chanter, mais qui n'était pas familier avec la mise en scène et qui, par conséquence, ne savait pas où se mettre. Et tout à coup, chacun comprenait le travail que l'ensemble a fait pendant les six semaines de répétitions sous Ponnelle et que ce travail n'était pas pour rien.
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