Fra Diavolo. Daniel François Esprit Auber.
Oper.
Opernhaus Zürich.
Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 23 janvier 1990.
La production m’a montré une chose avant tout : que rien n’est acquis pour toujours et que la vie et le théâtre recommencent toujours à zéro. C’est banal, me direz-vous, mais moi, j’avais l’illusion que l’Opernhaus de Zurich faisait part des quelques scènes qui ne descendent pas au-dessous d’un certain niveau. Je m’imaginais donc que les années de collaboration avec Jean-Pierre Ponnelle, le prestige de ses productions, la politique des engagements agissaient en sorte que jamais une production de l’Opernhaus de Zurich se laisserait confondre, disons, avec une production du théâtre lyrique de Bienne. Mais pour moi, cette confusion s’est créée ce week-end, parce que j’ai vu un spectacle qui est retombé derrière le niveau habituel de l’Opernhaus.
Alors, distinguons les éléments. Le drame est nul. C’est l’histoire d’un des bandits romantiques italiens du 19e. Recherché par la police, il a l’audace de se mêler parmi ses ennemis. C’est un beau garçon, il a de bonnes manières, et il se déguise en marquis, un marquis dangereux surtout aux femmes qui succombent à ses charmes. Fra Diavolo, qui est plus rusé que le renard, sera malgré tout attrapé grâce à la bêtise de ses compagnons qui trahissent leur chef par manque d’intelligence. Fra Diavolo se fait prendre, fin de l’histoire. Le noyau de l’opéra est donc extrêmement mince. Vous n’avez pas d’histoire, pas de conflit entre deux principes, pas de dénouement. Vous avez simplement des airs qui s’alignent un peu au hasard sans avoir d’autre fonction que de faire entendre les chanteurs et de faire plaisir aux oreilles. Or, la musique de Daniel François Esprit Auber fait plaisir aux oreilles. Elle est très bien écrite. On sent que c’est un homme du métier qui l’a faite, un homme qui a appris la leçon rossinienne et qui a compris ce que demande le genre de l’opéra-comique.
(Musik)
Cette musique de Daniel François Esprit Auber, l’orchestre de l’opéra de Zurich l’a interprétée sans excès de zèle. L’écriture d’Auber ne pose pas de problèmes à un orchestre moderne, et ce manque de problèmes a engendré une certaine paresse qui s’est manifesté – pour mes oreilles – dans un léger manque de brio et un léger manque de précision. On sentait que pour l’orchestre, « Fra Diavolo » ne compte pas parmi ses partitions favorites. On a donc fait « Fra Diavolo » parce qu’il était au programme. Et cela, c’était l’impression générale. Car le public aussi a assisté à la première parce qu’elle figurait au programme. Personne n’a manifesté de l’enthousiasme. « Fra Diavolo » est un spectacle de fin d’année, mais en fin janvier, on ne sait plus bien comment s’y prendre. C’est une œuvre sympathique, sans prétentions ni difficultés, qui ne gêne pas la digestion, mais qui laisse la tête vide et ne touche ni cœur ni âme.
Pourquoi alors ce divertissement sans importance ? Question que je me suis posée en lisant la partition. Je n’ai pas pu m’imaginer qu’un metteur en scène puisse en extraire quelque chose d’intéressant ou de neuf, et le metteur en scène de Zurich ne m’a pas pris mes préjugés. Il a proposé une des lectures les plus conventionnelles qui puissent s’imaginer, et il a créé un spectacle de nulle valeur. A vous de décider s’il vaut le coup de traverser la Suisse pour aller somnoler pendant deux heures à l’opéra de Zurich. Moi, en tout cas, je me repentais d’avoir quitté mon livre pour perdre le temps avec une production si anodine et si réactionnaire.