Die verkaufte Braut. Bedrich Smetana.
Oper.
Zdeňek Košler, Christine Mielitz. Opernhaus Zürich.
Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 2 mars 1988.
C'est avec retard que je viens de voir à l'opéra de Zurich une nouvelle production de la "Fiancée vendue". Mon retard s'explique par les malentendus autour de cet opéra. Smetana l'avait conçu comme opérette, et par ce fait, la "Fiancée vendue" appartient dans les théâtres de langue allemande au genre de l'opérette, et on ne se donne pas de la peine quand on la monte sur scène. Mais cette fois-ci, la presse était unanime sur la qualité de la mise en scène; j'ai même entendu, figurez-vous, une critique élogieuse sur les ondes du Deutschlandfunk. Tous mes confrères ont vanté les mérites d'une jeune femme metteur en scène de l'Allemagne de l'Est, Christine Mielitz. Influencée par Walter Felsenstein et Harry Kupfer, elle a fait de ce l'opérette un drame réaliste et passionnant. Cependant, son travail de mise en scène ne renverse pas les données principales de l'œuvre, au contraire, elle évite tout aspect de modernisme, de façon que les qualités de la mise en scène pourraient passer comme inaperçues par le grand public. Si donc le travail de Christine Mielitz surprend, c'est précisément par son sérieux, par sa conscience professionnelle qui sait découvrir derrière les clichés folkloristes le contenu profond de cette vente d'une fiancée.
Mis à part de le travail de Christine Mielitz, deuxième surprise à signaler: la direction musicale de Zdeňek Košler. C'est un chef qui a reçu le Grand Prix du Disque Charles Cros à Paris en 1981, et en 1983 le Prix Allemand du Disque; un grand professionnel donc qui fait sonner l'orchestre de l'opéra de Zurich comme je l'ai rarement entendu.
La mise en scène est animée par un souci de vraisemblance et par un souci de dévoiler le fond tragique et humain de cet opéra qu'on a trop souvent confondu avec une opérette folklorique. Le souci se base sur un respect profond de l'œuvre. Christine Mielitz ne veut au fond rien faire d'autre que de faire ressortir ce qui se trouve au fond de cette "Fiancée vendue". Ceci dit, vous comprenez que la mise en scène en scène n'a rien de spectaculaire. Mais pour vous démontrer la qualité du travail, je vais vous citer deux scènes. La première, c'est le duo des deux amants, Marie et Hans.
(Musik)
Ce duo se présente à Zurich sous la forme d'une action. Hans a envie d'embrasser Marie, tandis qu'elle, elle voudrait s'entretenir sérieusement avec lui. Pendant le duo, nous avons donc une sorte de dispute. Deux volontés s'entrecroisent. Pendant qu'ils chantent, Marie et Hans vivent tout un roman d'attirance et de refus. Au lieu de voir deux chanteurs plantés à la rampe, nous suivons donc une action. Et Christine Mielitz sait traduire les états d'âme par des éléments dynamiques qui se déroulent au niveau des regards, des mains et des corps.
Deuxième exemple: La grande danse, où normalement nous voyons des pas folkloriques stupides et sans signification. Ici, l'action qui accompagne la musique, c'est la lutte entre Hans et Kecal. Les paysans se trouvent autour d'eux et commencent à se diviser en deux parties qui essayent de séparer les combattants. Ici aussi, la mise en scène remplace une situation statique par une action dynamique, et c'est cette qualité de l'imagination théâtrale qui fait que l'opéra prend l'aspect de la vie réelle.
(Musik)
Souvent, la "Fiancée" est donnée dans une interprétation imprécise, mais folklorique et sentimentale. Zdeňek Košler nous a maintenant démontré qu'il fallait faire le contraire pour montrer la vigueur et la force dramatique de cet opéra. Il a donc donné Smetana comme si c'était du Beethoven; une interprétation plutôt classique que romantique.
Que signifie ce choix? La musique est devenue très claire et très transparente. Au lieu de nous entrainer par des effets superficiels, elle garde une certaine distance, et grâce à cette distance nous pouvons reconnaître la qualité de l'écriture de Smetana. Si à la fin les auditeurs sont épris de cette musique, c'est parce qu'elle parlait d'un drame bien plus profond que ne le laissent supposer les interprétations conventionnelles.
Le drame profond, c'est que l'amour se base sur la confiance. Personne ne peut reconnaître ce qui se trouve dans l'âme de l'autre. Si quelqu'un jure qu'il vous aime, c'est à vous de lui faire confiance. Et faire confiance, c'est ce que fait la fiancée vendue. Malgré les apparences qui semblent prouver l'infidélité de son amant, elle essaye de lui croire ses serments. Mais pour elle, c'est une lutte et non pas une conviction; et la musique nous parle de cette lutte.
Et maintenant, quelle surprise de voir comme les interprètes se sont identifiés au style de la mise en scène qui les veut individuels et vrai semblants. Normalement, on donne des types au lieu d'hommes dans ce genre de comédie musicale. À Zurich, la production a évité les clichés en évitant les exagérations. L'ensemble des chanteurs nous peint l'image d'une société qui ressemble à la nôtre, avec des individus où se mélangent le bon et le mauvais, les traits d'intelligence avec les traits de bêtise. Au lieu de types donc des caractères.
Mais pour pouvoir donner des caractères, il faut que les chanteurs oublient leurs gestes traditionnels. Et à Zurich, le miracle s'est fait. Vous trouvez de cette précision et ces manières différenciées sur tout le plateau. Pas un geste de primadonna pendant toute la soirée, mais un ensemble tout à fait homogène. On peut imaginer quel énorme travail a dû être fait pour que tous les chanteurs – sans exception – aient pu être transfigurés en acteurs.
Cette homogénéité de l'interprétation scénique, vous la retrouvez au plan musical. Aucune grande voix, mais un ensemble tout à fait remarquable et à la hauteur de sa tâche. Avec toutefois un chanteur qui a particulièrement bien su donner son rôle: Peter Keller, membre de l'ensemble de Zurich depuis beaucoup d'années, présente un Wenzel qui aussi bien par l'intensité de son jeu que par la beauté de sa voix. Il nous a fait ressentir la profonde tragique de ce petit bout d'homme qui à la fin n'a rien gagné mais tout perdu.