Das schlaue Füchslein. Leos Janacek.
Oper.
Opernhaus Zürich.
Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, début janvier 1989.
"La petite renarde rusée" de Leos Janacek est saluée par tous comme un chef-d'œuvre ... et pourtant presque jamais monté. C'est pourtant une des œuvres les plus fines et les plus poétiques du répertoire lyrique, dit Alain Duault.
En suivant la représentation de l'opéra de Zurich, vous comprendrez non seulement la beauté (ou du moins une partie de la beauté de l'œuvre), mais vous comprendrez aussi pourquoi l'œuvre se donne si rarement.
Première raison: Les difficultés du chant. Janacek s'inspire du langage tchèque. Dans ses opéras, vous entendez donc une sorte de "Sprechgesang", une ligne mélodique qui suit étroitement les inflexions de la langue parlée en Tchécoslovaquie. Bien que cette manière de composer soit belle (si belle que les dialogues de Puccini), les mélodies sont si étroitement liées à la langue tchèque qu'il est impossible de traduire Janacek, car la mélodie forcerait les autres langues occidentales d'accentuer les mauvaises syllabes.
Prenez p.ex. le nom du compositeur même. En français, vous dites [Janac'ek] en accentuant la dernière syllabe. Alors qu'en tchèque, on accentue la première syllabe et on prolonge la deuxième: [J'ana:cek]. Pour notre langue, cette manière de prononcer les mots est tout à fait à rebrousse-poil. Alors, faut-il chanter les opéras de Janacek dans leur langue originale? Si vous le faites faire, vous provoquez deux inconvénients: Premièrement, le public ne pourra plus suivre le dialogue qui, chez Janacek, n'est pas insignifiant. Et deuxièmement, vous ne trouverez pas les chanteurs qui disposent du rôle. Donc vous ne devrez non seulement leur donner l'occasion d'apprendre leur partie, mais vous devrez aussi leur enseigner la phonétique. Alors, pour le théâtre, c'est coûteux et compliqué que donner un opéra de Janacek.
Pour la renarde rusée, les choses sont encore plus compliquées. Il s'agit bel et bien, comme l'indique le titre, d'une histoire d'animaux. Vous suivez la vie d'une petite renarde qu'un garde-chasse trouve dans la forêt. Vous voyez comme l'homme essaie de l'apprivoiser l'animal sauvage en le mettant chez ses animaux domestiques, chez le chien et chez les poules. Mais la renarde étrangle les poules et s'enfuit dans la forêt où elle fait connaissance d'un beau jeune renard. Vous voyez le couple vieillir, entouré de ses enfants. Mais la mère se fait tuer par un gitan, et à la fin de l'opéra, nous voyons de nouveau une petite renarde délaissée, et de nouveau le garde-forestier passe dans la forêt, vieux et pensif, et la boucle se ferme.
Mais la beauté de chaque trait est si difficile à rendre au théâtre. Comment représenter les animaux sur scène? Et comment les hommes? Il faut que chacun des rôles, pour être vrai, soit donné par un grand acteur. Pour que la petite renarde rusée commence à vivre, il ne suffit pas qu'elle sache chanter (si encore à Zurich elle le savait!), mais vous devez aussi assumer les plus périlleuses tâches de votre métier. P.ex. vous devez jouer un instituteur ivre. Fort éméché, vous avancez en chancelant à travers la forêt. Alors, la renarde présente sa tête derrière un tournesol, et l'instituteur, comme illuminé, croit voir la gitane Terinka, un de ses anciens amours. Dans un élan vers ce mirage, il trébuche et tombe par terre. Alors, rendez-moi cela sur la scène sans assez de préparation, et l'effet sera nul, sinon défavorable.
Donc, pour pouvoir trouver la vérité dans le jeu des hommes et des animaux, pour savoir comment leur donner un style et un charme tout particulier, il vous faudra un temps de répétition bien plus long que la routine vous permet. L'opéra de Zurich n'a pu, sous ces circonstances, donner qu'une première esquisse de l'œuvre.
La représentation était cependant parfaite dans sa réalisation orchestrale. Sous la baguette de Bohumil Gregor, apprécié comme chef lyrique de premier ordre et né dans la ville de Janacek en 1926, l'orchestre transmet le sens de la féerie, du rêve de la partition originale. Dans les préludes et les entractes, vous avez une dimension de conte, de songe d'un jour d'été, et vous sentez que Janacek a voulu faire chanter la nature et la forêt à travers la petite renarde rusée – une nature et une forêt qui, hélas, aujourd'hui, n'existent plus en Tchécoslovaquie et à peine encore chez nous.