Roméo et Juliette. Sergei Prokofiev.
Ballet.
NN Norte. Grand Théâtre de Genève. / Heinz Spoerrli. Theater Basel.
Radio Suisse Romande, Espace 2, Magazine de la musique,
10 octobre 1990.
Si vous me demandez mon appréciation sur le chaud, je vous avouerai que je suis déçu. A Genève, je n'ai pas trouvé les grands moments que Spoerrli à Bâle a su créer avec tant de raffinement. Bien entendu, l'on peut faire Roméo et Juliette d'une manière et de l'autre. Et je ne contesterai pas le droit de M. Norte de plonger l'histoire dans un bain de kitsch rose. Ça, c'est une question de goût; j'avoue que personnellement, je préfère la sobriété et la clarté classique du chorégraphe de Bâle. Mais il ne s'agit pas d'une question de goût, il s'agit d'une question de métier, et là, je suis implacable.
La musique d'abord: A Genève, elle ne fait ni chaud, ni froid. Elle est sans intérêt, elle ne se développe pas, elle ne met pas en valeur les nombreux changements de couleur que la partition offre à tout chef d'orchestre inspiré. A Bâle, on entend une musique qui vous parle, qui vous saute à la gorge et qui vous fait suivre l'aventure de Roméo et Juliette avec passion.
La chorégraphie ensuite: Le chorégraphe bâlois, Heinz Spoerrli, sait écouter la musique; il sait comment la traduire en mouvements et comment l'exprimer par la danse. A Genève, la danse ne colle pas à la musique. Les gestes ont un autre caractère que les lignes musicales, il y a un décalage entre danse et partition, décalage qui prouve simplement que l'imagination du compositeur russe est supérieure à celle du chorégraphe genevois.
A Bâle, je vous l'ai dit, la chorégraphie était marquée de clarté. Et cette clarté était due aux contrastes. Contraste entre le groupe et l'individu, contraste entre le monde de Vérone et le monde des amants. Ces contrastes fondamentaux créent les grands mouvements du ballet. Vous avez par exemple sur une terrasse une scène d'ensemble qui symbolise les conventions sociales où l'individu s'efface, où il entre dans l'ordre du rouage, et où sa fonction est d'être utile. Au-dessous de cette terrasse sociale, vous trouvez les amants, Roméo et Juliette. Ce sont eux qui sont sur la terre, alors que la société des notables est décrochée du sol, et l'on comprend que l'amour est une force plus réelle que le corps social.
Un dernier atout de la production bâloise: Elle a un corps de ballet mieux en forme, plus sûr de sa technique et très sensible aux détails. Le niveau de la troupe se manifeste notamment dans toutes les scènes où deux groupes se rencontrent et où petit à petit les choses commencent à se gâter. Tout à coup, l'atmosphère change, et par l'imperceptibilité de ces changements, Heinz Spoerrli et sa troupe montrent leur goût, leur métier, bref, leur supériorité.