Capriccio. Richard Strauss.

Stadttheater Bern.

Radio Suisse Romande, Espace 2, Musimag, 23 novembre 1988.

 

 

 

Le théâtre municipal de Berne vient de sortir "Capriccio", le dernier opéra de Richard Strauss. Sous forme de conversation dans un salon du temps de Louis XV, les personnages discutent pendant 2 heures et demi la question essentielle du genre même – c’est-à-dire: Qu'est-ce qui prime à l'opéra? Est-ce la parole ou est-ce la musique?

 

Cette question qui en 1775, où se situe l'action, faisait à Paris la querelle des anciens et des modernes, cette question Strauss la reprend à la fin de sa vie qui coïncide avec la fin du genre, puisque Strauss était le dernier compositeur qui savait écrire des opéras selon la tradition établie.

 

Strauss, dans "Capriccio", se fait un plaisir de citer toute l'histoire de l'opéra, dès les débuts jusqu'à ses jours, et surtout de citer ses propres réussites. Vous réentendez "Electre", vous réentendez "Le chevalier à la rose", vous réentendez "Ariane", et vous vous rendez compte que Strauss, dans "Capriccio", n'a pas seulement écrit son testament musical, mais aussi son apothéose. Vous voyez ce vieux monsieur qui vit dans la beauté absolue de la musique pure et qui reprend avec ravissement sa carrière, en travaillant tranquillement dans son chalet au milieu des alpes bavaroises, alors qu'en même temps, ou "Capriccio" est en train de se faire, l'Europe est en pleine 2e guerre mondiale. Alors que les fourneaux commencent à brûler à Auschwitz et à Buchenwald, alors que le librettiste prévu décline de travailler sur une question qu'il juge périmée et mensongère face aux atrocités du 3e Reich, à la même année que "Capriccio" se crée à Munich, en 1942, ce librettiste prévu donc se tue, avec sa femme, par désespoir, en Amérique latine.

 

L'opéra ne tient pas compte de cette situation ni de la situation historique. C'est pourquoi "Capriccio" est l'opéra le plus égoïste, le plus grotesque, le plus mensonger.

 

Les problèmes d'aveuglement historique et d'escapisme douteux sont inséparables de "Capriccio". Ils n'ont cependant pas été relevés par la nouvelle production du théâtre municipal de Berne, ni sur la scène, ni dans le programme. Au contraire, on faisait semblant que "Capriccio" était un opéra comme un autre, et vous y avez trouvé toute la médiocrité de la routine théâtrale.

 

Berne ne se rend donc pas compte qu'au moment où il sort "Capriccio", l'Allemagne et le monde entier se rappellent du 50e anniversaire du début des pogromes du Reich. Et par cette insensibilité et ce manque de conscience historique, le théâtre de Berne a commis un faux-pas que seulement la province la plus profonde peut se permettre sans que quelqu'un soit choqué.

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