Anna Göldi. Martin Derungs
Opéra.
Daniel Kleiner, Martin Markun. OGB Biel.
Radio Suisse Romande, Espace 2, Magazine de la musique, mi-mars 1991.
Le 16 juin 1782, la dernière sorcière de l'Europe fut décapitée. Elle était accusée d'avoir ensorcelé une petite fille de huit ans en la faisant cracher des aiguilles. Après quatre mois d'interrogatoire et de torture, le bourreau de Glaris lui coupa la tête. Le pasteur de l'église protestante tint le sermon. Le préfet et les notables du canton de Glaris assistèrent à la cérémonie. La pauvre Anna Göldi est donc morte chez nous, en Suisse, il y a 209 ans. Aujourd'hui, le théâtre lyrique de Bienne nous présente un opéra qui nous raconte l'histoire de cette femme malheureuse.
(Musik)
L'entrée sur scène d'Anna Göldi nous fait comprendre son innocence fondamentale, et en même temps, nous comprenons quel engrenage s'empare d'elle. Au moment où Anna Göldi, une jeune femme modeste, entre dans l'auberge, les hommes qui sont assis autour de la table ronde interrompent leur conversation. Le vieux musicien dans le coin arrête de jouer, et tous les yeux suivent Anna Göldi à travers la salle. Et le soir, quand tout le monde est chez lui, un jeune garçon se relève pour aller coucher dans le lit d'Anna. Mais parce qu'il na pas éteint sa pipe, il incendie l'auberge, et nous comprenons que cette première scène est symbolique. Quand Anna Göldi s'approche du monde, et fait jaillir les forces élémentaires.
(Musik)
Anna Göldi n'est qu'une servante. Elle a besoin de travail, et elle trouve une place chez le médecin de Glaris qui tombe amoureux d'elle. La femme du docteur devient jalouse et commence à se défendre. Puis il y a là une petite fille de huit ans qui est incapable de comprendre toutes ces tensions, et la petite devient hystérique. Elle avale des aiguilles et les crache plus tard. La personne qui a déclenché tout ce malheur s'appelle Anna Göldi. En se débarrassant d'elle, les gens de Glaris veulent remettre les choses en ordre.
(Musik)
Le librettiste Martin Markun a réglé lui-même la mise en scène de cette première création mondiale. Et puisqu'il a une immense expérience dans le domaine lyrique, ayant été premier metteur en scène d'abord à l'opéra de Zurich, puis à l'opéra de Bâle, il a su se prendre admirablement au jeune ensemble que le théâtre lyrique de Bienne lui a mis à disposition. Martin Markun est le metteur en scène des allusions parcimonieuses. Aucun sentimentalisme. Aucun romanticisme. Mais des situations bien développées, où les regards, les gestes, les positions des corps nous racontent tout. Grâce à l'intensité du jeu des acteurs et grâce à l'intelligence de la mise en scène, Anna Göldi est un succès artistique incontestable.
(Musik)
La musique d'Anna Göldi a été écrite par le célèbre claveciniste Martin Derungs. Sa conception musicale est marquée par une expérience personnelle, car le compositeur n'aime pas les opéras où la musique couvre le texte.
(Wort)
"C'est-à-dire, si je ne comprends pas le texte, j'ai souvent l'impression que le compositeur n'a pas d'idée concrète et qu'il se contente de créer de l'atmosphère."
(Wort)
Le compositeur d'Anna Göldi veut donc que l'on comprenne l'action. Aux scènes cruciales, l'orchestre se tait, ou alors le texte est parlé au lieu de chanté.
(Musik)
Le souci de Martin Derungs de faire passer l'action, de soumettre la musique aux exigences d'un théâtre et d'un public concret, en occurrence celui du théâtre lyrique de Bienne, oblige le compositeur à tenir compte des limites de ce plateau et de cet auditoire. Si vous écrivez pour Bienne, nous raconte Derungs, vous ne pouvez pas vous attendre à un public très averti de ce qui se fait dans l'avant-garde européenne.
(Wort)
Puis Martin Derungs ajoute la phrase clé: Je voudrais être compris.
(Wort)
D'autre part, il fallait tenir compte des dimensions minuscules du plateau et de la fosse.
(Wort)
Avec beaucoup de peine, on a pu placer 28 musiciens dans la fosse – mais quel hasard prodigieux: 28 musiciens, c'est la grandeur des orchestres du temps de Haydn.
(Wort)
L'action d'Anna Göldi se déroule en 1782, et Martin Derungs utilise pour son opéra un orchestre qui correspond à l'époque.
(Wort)
A la fosse de Bienne donc une flûte, deux hautbois, deux clarinettes, un basson, deux cors, deux trompettes, et comme petit luxe une harpe et une trombone, une batterie; les cordes sont très réduites.
(Musik)
Avec cet orchestre, Martin Derungs a créé une musique d'accompagnement qui suit de près l'histoire de la pauvre Anna Göldi qui le 16 juin 1782 fut décapitée chez nous en Suisse, à Glaris. Anna Göldi a donc le triste honneur d'être la dernière femme en Europe qui fut condamnée pour le délit de sorcellerie.